Message adressé par sa Majesté le Roi Mohammed VI aux participants à la conférence internationale sur l’indépendance du pouvoir judiciaire

Marrakech le 02/04/2018

Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, a adressé un Message aux participants à la conférence internationale de haut niveau sur la justice sous le thème “Indépendance de la justice: Entre garantie des droits des justiciables et respect des règles de fonctionnement de la justice”.

Voici le texte intégral du Message Royal dont lecture a été donnée par M. Abdellatif Menouni, conseiller de Sa Majesté le Roi.
‘’Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les honorables Présidents des Conseils supérieurs de la magistrature et Présidents des parquets généraux,

Mesdames et Messieurs,

Nous avons le plaisir d’adresser ce message aux participants à la conférence internationale de haut niveau qui s’ouvre aujourd’hui, et qui est consacrée à des questions juridico-judiciaires de la plus grande importance, et de leur souhaiter la bienvenue. Notre Haut Patronage témoigne à l’évidence de l’estime portée au pouvoir judiciaire et atteste de la constante et bienveillante sollicitude dont Nous entourons ses institutions et ses membres.

En tout premier lieu, Nous tenons à vous féliciter pour le choix du thème de votre conférence : « Indépendance de la justice : entre garantie des droits des justiciables et respect des règles de fonctionnement de la justice ». En focalisant sur ce sujet d’actualité, vous donnez la pleine mesure de l’importance capitale qu’il revêt dans les différents systèmes judiciaires, qui aspirent à jouer un rôle prépondérant dans la préservation des droits et des libertés et dans la consolidation de la sécurité juridique nécessaire à l’impulsion du processus de développement et à la protection de la société.

Notre vœu est que les participants à ce congrès, qui appartiennent à divers systèmes judiciaires, aient l’occasion d’identifier les défis communs et de proposer, pour les relever, des réponses et des solutions innovantes, inspirées des principes universels qu’ils ont en partage.

Excellences,

Honorables magistrats,

Mesdames et Messieurs,

Vos assises se tiennent dans un contexte national marqué par la mise en œuvre du grand chantier historique de réforme du système judiciaire.

Dans un souci constant d’adaptation aux évolutions modernes du monde de la justice, le Royaume du Maroc œuvre avec détermination au développement de son appareil judiciaire pour satisfaire les besoins des justiciables, répondre aux préoccupations des citoyens et aux attentes de la société et être en phase avec les exigences de notre temps.

Partant de notre conviction profonde de l’importance cruciale de l’indépendance du pouvoir judiciaire dans la consolidation de l’Etat de droit, le Royaume du Maroc a pris les mesures institutionnelles, juridiques et pratiques nécessaires à la consolidation des fondements d’une justice indépendante.

Aussi avons-Nous veillé à ce que la Constitution affirme expressément l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif, et crée un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, placé sous Notre présidence et doté d’une totale indépendance. Cette institution constitutionnelle plurielle regroupe en son sein des personnalités diverses, issues du monde du droit, d’organismes de défense des droits de l’Homme, à côté de magistrats élus. Sa mission consiste à veiller au respect des garanties accordées aux magistrats dans l’exercice de leurs fonctions et à la gestion de leurs carrières professionnelles.

De plus, cette même Constitution proscrit toute ingérence dans les affaires soumises à la justice et confie à la loi le soin de sanctionner toute tentative d’influencer les magistrats. En outre, la loi suprême fait de tout manquement de la part du juge à ses devoirs d’indépendance et d’impartialité, une faute professionnelle grave, induisant, le cas échéant, des poursuites pénales à son encontre.

Allant encore plus loin, le texte constitutionnel consacre les droits des justiciables et les règles de bon fonctionnement de la justice. Il assigne au juge la responsabilité de protéger les droits et les libertés des personnes et des groupes et de veiller à leur sécurité juridique. Outre l’accès garanti à la justice, il protège la présomption d’innocence et confirme le droit à un procès équitable et à un jugement rendu dans un délai raisonnable.

En outre, Nous nous sommes attaché à décliner ces principes constitutionnels dans une Charte nationale de réforme de la justice, dont l’élaboration a été confiée, par Nos soins, à une pléiade de magistrats, d’avocats, d’experts, de défenseurs des droits humains et de professionnels de la justice. Ce travail collégial, réalisé avec une approche participative élargie, a permis de répertorier les réformes législatives et réglementaires à mener et les mesures à prendre.

C’est dans ce contexte qu’ont été adoptés des textes de loi éminemment importants, notamment deux lois organiques relatives respectivement au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et au Statut des magistrats. Il en est de même de la loi qui place le ministère public sous l’autorité, non plus du Ministre de la justice, mais du Procureur général du Roi près la Cour de cassation.

Grâce à cet effort collectif, notre pays a réussi à franchir des étapes décisives pour la mise en place du cadre institutionnel de son appareil judiciaire et de sa gouvernance.

Notre souhait est que soit activée à présent l’application des autres mesures contenues dans la Charte, qui visent à mettre en concordance les différentes législations avec les progrès réalisés, à améliorer le rendement et l’efficacité de la justice et à rendre effective et palpable l’indépendance de l’appareil judiciaire, conformément à la Constitution du Royaume.

Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, Nous veillons tout particulièrement à ce que ce principe constitutionnel soit placé au service des citoyens, au service du développement et au service de l’Etat de droit.

Excellences,

Honorables magistrats,

Mesdames et Messieurs,

Le Maroc a réalisé des avancées dans la mise en place d’un cadre institutionnel de son système judiciaire. Néanmoins, et à l’instar de tous les pays qui attachent une importance capitale à la justice, il reste préoccupé par les défis auxquels se trouvent confrontés les différents systèmes judiciaires à travers le monde.

De ce point de vue, le premier impératif est de garantir l’effectivité de l’indépendance du pouvoir judiciaire dans le fonctionnement pratique de la justice. A ce propos, rappelons que le principe a été consacré, non pas au bénéfice des magistrats, mais à l’intention des justiciables et à leur profit.

Le principe a ainsi créé un droit pour les justiciables et un devoir pour les magistrats.

Que le juge se montre totalement indépendant, impartial et neutre au moment de rendre une sentence, est un droit pour les justiciables. En effet, le magistrat ne doit fonder ses décisions que sur les règles de droit et il doit statuer exclusivement en son âme et conscience, guidé par ses seules convictions.

En revanche, il est du devoir du juge de se plier aux exigences d’indépendance et d’intégrité et de se prémunir contre toute forme d’influence ou tentation, sous peine de tomber sous le coup d’une procédure disciplinaire ou pénale.

Il importe aussi de relever un autre défi qui consiste à accroître la confiance en la Justice, érigée en rempart inexpugnable de défense de l’Etat de droit et en levier essentiel du développement. A cette fin, l’appareil judiciaire doit se perfectionner et améliorer son rendement pour être à même d’accompagner les transformations économiques et sociales à l’œuvre dans toutes les sociétés.

Pour cela, il importe notamment de faciliter l’accès au droit et à la justice. Une modernisation des législations nationales est toujours nécessaire pour les mettre en phase avec les changements et en conformité avec les engagements internationaux du pays, en particulier, ceux qui se rapportent aux droits humains. En outre, les mesures nécessaires doivent être prises pour que les décisions de justice soient prononcées dans des délais raisonnables.

De plus, la sécurité juridique et judiciaire doit être assurée pour améliorer le climat des affaires, donner aux investissements une impulsion vigoureuse et contribuer en définitive au développement du pays. Par ailleurs, l’efficacité et la transparence de l’administration judiciaire doivent être renforcées grâce à l’utilisation des technologies de l’information et à l’institutionnalisation des modes alternatifs de règlement des litiges.

De son côté, la justice pénale appelle une attention particulière pour lui permettre de trouver un équilibre judicieux entre l’impératif de garantir les droits et les libertés et l’impérieuse nécessité de préserver les valeurs et les piliers de la société et de protéger le corps social contre tout danger, notamment au moment où notre monde est assailli de périls en tous genres; où les relations se complexifient constamment, où les dangers de la communication numérique s’accroissent avec les dérives que l’on sait et qui appellent des ripostes professionnelles et efficaces.

Mettre en place une justice de qualité reste une préoccupation majeure pour répondre aux attentes des individus et de la société. Pour parvenir à un tel résultat, l’administration judiciaire doit être constamment améliorée pour seconder les magistrats dans leur mission. A cet égard, l’expérience atteste des progrès réalisés grâce à l’informatisation de la justice.

La réalisation de l’ensemble des objectifs poursuivis reste cependant tributaire de l’amélioration de la formation des magistrats et de la mise à niveau optimale des professionnels de la justice. Elle dépend aussi d’un renforcement des capacités institutionnelles de l’appareil judiciaire et d’un appui à la moralisation de l’ensemble de ses composantes. Il importe donc d’apporter un soutien conséquent aux efforts déployés dans ce sens, en s’attachant à développer la coopération internationale et à en diversifier les domaines. Il s’agit, du reste, d’un outil essentiel pour améliorer le travail de la justice, dans la mesure où il favorise le partage des expériences et des savoir-faire entre professionnels et permet de se familiariser avec les meilleures pratiques et d’en tirer le meilleur parti.

Excellences,

Honorables magistrats,

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes persuadé que vous saurez soumettre les questions inscrites à l’ordre du jour à une réflexion approfondie, que vous nourrirez de débats riches et de comparaisons fécondes. De fait, Nous n’ignorons pas qu’une forte préoccupation vous rassemble autour des défis communs, et qu’une ambition résolue vous anime pour leur apporter des réponses appropriées. Dans cet effort, vous garderez présentes à l’esprit les spécificités propres à chacune des sociétés dont vous êtes issus. Vous saurez sans doute tirer le meilleur parti de vos savoir-faire étendus et de vos expériences fructueuses afin d’enrichir les travaux de cette conférence.

Nous attendons de vos échanges qu’ils débouchent sur des propositions innovantes et judicieuses ainsi que sur des recommandations pratiques. Fortes de ces éléments, vos assises deviendront à l’avenir un cadre d’échanges réguliers d’expériences et contribueront sans aucun doute au développement et à l’amélioration de nos systèmes judiciaires.

Puisse Dieu guider vos pas, vous inspirer sagesse et clairvoyance et couronner vos travaux de succès’’.