Lettre de S.M. le Roi Mohammed VI au Premier ministre, M. Abderrahmane El Youssoufi,définissant le cadre et les orientations du plan quinquennal

Rabat le 16/12/1999

''Au nom de Dieu, 

Que la prière et la paix soient sur le Prophète, Sa Famille et Ses Compagnons,

Notre fidèle serviteur et dévoué Premier ministre, Monsieur Abderrahmane El Youssoufi, 
Que Dieu te préserve, t'assiste et guide tes pas sur la voie du bien.

Tu sais parfaitement l'extrême importance que nous accordons à la consolidation et au renforcement des fondements du développement économique, social et culturel dans notre pays, ainsi que notre objectif d'étendre les bienfaits de la prospérité à l'ensemble de nos sujets, à travers la réalisation d'un développement global répondant aux exigences de la mise à niveau de l'économie nationale, de l'amélioration des conditions matérielles et morales des citoyens, en dotant notre pays de structures solides à même de lui permettre d'affronter les défis auxquels il doit faire face et de s'intégrer de manière positive dans un environnement mondial qui connaît des mutations profondes et rapides. 

Le développement global pour lequel nous œuvrons, signifie la promotion du pays dans tous les domaines économiques, sociaux, culturels et politiques et l'édification de son développement de telle manière que l'ensemble de ses composantes puissent bénéficier des fruits du progrès, aussi bien au niveau des catégories sociales que sur le plan spatial. 
Sur cette base, il importe de concevoir une stratégie de développement intégré dont l'exécution aura pour but de renforcer les structures de la société, d'intégrer ses différentes composantes et de consolider son tissu et son unité. Il s'agit essentiellement de ce qui suit:
- Premièrement: la promotion des régions défavorisées et leur intégration dans la dynamique du développement, notamment en rattrapant le retard dont souffre le monde rural en matière d'équipements socio-économiques et en trouvant des solutions à la baisse du revenu, à l'analphabétisme et à l'insuffisance des prestations sociales.

- Deuxièmement: l’intégration de la jeunesse, particulièrement celle instruite, dans le processus de production afin de tirer profit de ses potentialités remarquables et de ses hautes compétences au service du développement économique et social du pays, en l’incitant à la créativité, à l’innovation, en comptant sur elle-même, sans négligence, ni hésitation.
- Troisièmement: l’Association de la femme aux activités de développement en lui permettant d’exercer tous ses droits, en tant qu’élément agissant et influent au sein de la société.
- Quatrièmement: la lutte contre la pauvreté, la marginalisation et l’exclusion, qui sont contraires aux préceptes de notre sainte religion, fondée sur un ensemble de valeurs humaines, en premier lieu le renforcement de la solidarité et de l’entraide et la préservation de la dignité.
Ce processus ne peut aboutir qu’à travers l’orientation de l’évolution économique et sociale et sa coordination dans le cadre de plans visant à accélérer, par étapes successives, l’intégration du pays dans la marche de la civilisation industrielle, scientifique et technologique contemporaine. Une telle démarche doit s’appuyer sur une nouvelle méthodologie transcendant les difficultés qui, par le passé, se sont dressées devant la planification en tant qu’outil permettant de clarifier la vision et de réaliser le changement, et cadre adéquat pour intégrer nos options dans une conception globale et harmonieuse à même de cerner tous les facteurs qui déterminent l’évolution de notre environnement intérieur et extérieur, de sérier les priorités, d’illuminer la voie aux opérateurs économiques et sociaux et de les aider, par la concertation et le partenariat, à adopter les méthodes les plus efficientes et à choisir les meilleurs moyens de faire face aux défis actuels et futurs. 

De ce fait, la planification doit pouvoir clarifier le chemin et permettre ainsi au pays de s’engager sur la voie escomptée, dans le cadre d’une orientation visant à consolider l’Etat de droit, à œuvrer au service de l’intérêt général, à asseoir la libre initiative et de favoriser l’épanouissement des énergies créatives. 

Le Maroc a tenu à mettre en œuvre ces options en veillant à éviter tout ce qui est de nature à aller à l’encontre des règles de liberté, tant dans les domaines politique et économique que social, et ce conformément aux principes consacrés par les constitutions successives du Royaume, étant entendu qu’il ne peut y avoir de développement sans liberté, ni d’émancipation sans esprit d’initiative, qui doit être encouragé en lui réunissant toutes les conditions favorables. 

Pour approfondir ces orientations, la nouvelle méthodologie devrait adopter une approche appropriée de la problématique du développement à même de mobiliser toutes les énergies disponibles, de façon à contribuer à l’élaboration d’un plan quinquennal s’inscrivant dans le cadre d’une stratégie à long terme nous garantissant les conditions qui nous permettraient d’aborder le troisième millénaire avec optimisme et confiance.

Notre arme pour ce faire réside dans notre profonde foi et notre confiance inébranlable en notre capacité à transcender les difficultés et à relever les défis et en notre ferme détermination à élaborer des politiques judicieuses et à prendre les mesures de nature à réunir les conditions nécessaires à la concrétisation de cette foi et de cette confiance en soi. 

Si le développement économique et social est le fruit de l’effort collectif de la communauté, il appartient à l’ensemble des partenaires socio-économiques, en premier lieu l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics, le secteur privé et les organisations sociales, d’assumer leurs responsabilités et de s’acquitter des devoirs qu’implique sa réalisation. 

L’administration se doit de faciliter aux intervenants socio-économiques les conditions de travail adéquates, afin de permettre au secteur privé, aussi bien national qu’étranger, de jouer pleinement son rôle en matière d’investissement, de production et d’emploi, tout en contribuant au développement des infrastructures économiques et sociales, sans que l’Etat ne se dessaisisse de sa mission d’avant-garde et de régulation dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la réhabilitation des régions souffrant de déficit en infrastructures. 

Les collectivités locales, pour leur part, sont appelées, plus que par le passé, à jouer le rôle qui leur incombe dans le développement économique, social et culturel et à étendre leurs activités, dans le cadre de ce que permet la loi, aux domaines où leur efficacité et leur influence seraient marquantes. 

Ainsi, le rôle des collectivités locales devrait-il être renforcé et élargi afin qu’elles acquièrent le statut de partenaire essentiel de l’Etat et des autres opérateurs et que soient renforcées les capacités des institutions régionales, provinciales et locales pour une plus grande contribution au développement. 

Dans ce cadre, il est impératif de consolider la décentralisation et de mettre en œuvre une politique adéquate de déconcentration administrative, compte tenu de l’importance qu’elle revêt pour le succès de la décentralisation. 

Il importe, dans ce domaine, d’attirer l’attention sur l’intérêt de la planification aux niveaux régional et local pour assurer la coordination nécessaire entre les programmes de développement économique et social. Les travaux des institutions territoriales doivent converger vers une conception intégrée, à long et moyen termes, de manière à ce que la programmation des projets de développement régionaux soit pluriannuelle, selon une approche globale, en harmonie avec le plan national de développement économique et social.
Quant au secteur privé, nous attendons de lui, lors de la prochaine étape de l’évolution du pays, une participation efficiente justifiée par la place qu’occupe désormais ce secteur et par les efforts deployés par l’Etat pour lui permettre de décoller et l’habiliter à dynamiser le développement et à le promouvoir. 

Nul n’ignore que la réalisation du projet de société pour lequel nous œuvrons exige une mobilisation globale de l’ensemble des forces vives du pays. Cette mobilisation ne saurait cependant se réaliser sans l’encouragement de la participation de tous les opérateurs économiques, sociaux et politiques à divers niveaux, national, régional et local. 
Nous voudrions, à cet égard, exalter les efforts louables consentis en matière d’investissements par nos fidèles sujets résidant hors du territoire national, les incitant à les multiplier eu égard aux nombreux et grands bienfaits qu’ils génèrent pour eux-mêmes et pour le Maroc. 

Dans ce contexte de mobilisation générale, le principe de la participation revêt une importance particulière. Celui-ci dicte que soient repensés les rapports entre l’Etat et les autres partenaires, les rôles à confier à l’administration devant en effet être adaptés aux nouvelles missions de l’Etat dans le cadre d’une économie libéralisée. L’on peut citer dans ce cadre l’encouragement de la démarche tendant à conclure des conventions entre l’Etat, les collectivités locales, les organisations de la société civile et l’ensemble des intervenants, à consentir des efforts pour stimuler la fonction de consultation, à promouvoir les initiatives visant à mettre en œuvre des opérations de développement économique, social et culturel et les encourager dans un cadre clair et responsable. 

Partant, les organisations non gouvernementales, les associations professionnelles et les coopératives sont appelées à jouer un rôle important dans le cadre du partenariat et de la mobilisation requise pour faire face aux défis de la bataille du développement. 
S’agissant des objectifs essentiels du prochain plan, ils doivent se concrétiser à travers la réalisation des aspirations légitimes de la société tendant à améliorer les conditions de vie, à réunir les moyens d’une existence digne, à jeter les fondements d’une société équilibrée aux niveaux social et spatial, à moderniser les structures productives par le biais de la promotion de la compétitivité du produit national, à rehausser le niveau de l’enseignement et de la formation et à les adapter aux besoins de l’économie et aux exigences de l’évolution, tout en préservant les constantes civilisationnelles et culturelles de notre pays et les valeurs de notre identité arabo-islamique.

Si on devait procéder à une classification des priorités de la stratégie de notre action à venir, il est clair qu’il importerait de s’atteler à l’accélération du développement économique en lui imprimant un rythme permettant d’améliorer les conditions de vie des citoyens et de satisfaire leurs besoins fondamentaux en leur garantissant santé et habitat décent, tout en répondant aux attentes en matière d’emploi, particulièrement l’emploi des jeunes qui doit figurer en tête des questions suscitant notre intérêt et de nos préoccupations.

Parmi les priorités auxquelles nous accordons notre plus grande attention, figure le développement du monde rural qui revêt une importance toute particulière, eu égard aux exigences de ce domaine dans le cadre d’une politique visant la réalisation du développement global, l’intégration des populations rurales dans le processus de développement général du pays et l’atténuation des différents déficits dont il souffre.

Les politiques sectorielles aideront à renforcer le développement économique et social, du fait qu’elles s’insèrent dans une stratégie globale de développement. Il s’agit notamment d’encourager les exportations et de les diversifier, de promouvoir le tourisme, de développer les pêches maritimes, d’améliorer la qualité et l’intégration de notre produit industriel et de rehausser son niveau, sans omettre d’intensifier les contributions des autres secteurs essentiels, tels que l’agriculture, l’artisanat et autres.

La conception stratégique de cette action ne saurait être globale sans que l’on veille à la réalisation des équilibres sociaux, qu’il s’agisse de ceux consistant à protéger les couches sociales démunies ou à jeter les ponts de la solidarité entre les générations, ou ceux concernant l’atténuation des disparités régionales à travers une vision à long terme de l’aménagement du territoire national basé sur la promotion du monde rural, le développement rationnel de l’espace urbain, la protection de l’environnement et sa préservation dans le cadre d’une politique respectant les règles d’exploitation judicieuse de nos richesses naturelles, en premier lieu l’eau, que nous nous devons de préserver plus que jamais, par une meilleure exploitation et une gestion plus rationnelle.

Toutefois, pour réaliser tous les objectifs escomptés, tu n’es pas sans savoir l’importance que revêt l’élément humain à tous les niveaux, en tant qu’acteur et bénéficiaire du processus économique, et en tant que penseur, créateur, éducateur et détenteur du flambeau de l’identité marocaine authentique dans le contexte culturel et civilisationnel auquel nous appartenons.

C’est pour cela que la réforme du système éducatif et d’enseignement doit demeurer un objectif constant et renouvelé à même de nous permettre notamment d’intégrer la société du savoir, de la technologie et de l’information et d’accompagner son évolution soutenue.
Il convient également de veiller à garantir à notre pays une place privilégiée dans le cadre d’une coopération fructueuse avec les groupements régionaux et continentaux, en particulier dans la perspective de l’édification d’un espace économique maghrébin, en tenant compte de nos engagements internationaux qui ont consacré nos options pour une ouverture positive sur le monde extérieur. Parallèlement à ces objectifs, il importe de relever le niveau des prestations économiques et sociales des organismes de l’Etat, et ce par la réforme de l’administration, de la justice et des établissements publics, eu égard à son impact déterminant sur la consolidation de la démocratie et la mise à niveau du tissu économique national afin qu’il puisse répondre aux exigences de la concurrence internationale.

Nous sommes convaincus que l’adoption de la planification en tant que méthode privilégiée pour prospecter l’avenir, évaluer les besoins et les moyens, sérier les priorités et suivre une démarche consensuelle constructive avec les différents partenaires nous permettra, par la grâce de Dieu, de réaliser le progrès, la grandeur et la prospérité que nous souhaitons à ce pays paisible, afin que les bienfaits du développement s’étendent à toutes ses régions, et que toutes les composantes de sa société jouissent des fruits de sa prospérité.

Notre Premier ministre dévoué, 

En t’exposant dans ce message, que nous sommes heureux de t’adresser, les perspectives de notre vision du plan quinquennal par lequel nous comptons entamer le troisième millénaire par la grâce de Dieu, nous incitons l’ensemble de nos fidèles sujets dans les différents organes concernés, à lui accorder tout l’intérêt qu’il mérite, à veiller à la concrétisation de ses différents axes et dimensions et à leur mise en œuvre avec tout le sérieux, la détermination, l’honnêteté, la rigueur et la droiture nécessaire. Nous leur réaffirmons notre confiance, notre sollicitude et notre bénédiction, implorant Dieu de les assister et de leur accorder réussite et succès.

"Dis : œuvrez, Dieu verra votre œuvre ainsi que le Prophète et les croyants. " (Coran).
Que la paix, la miséricorde et la bénédiction de Dieu soient sur toi.